TABLES RONDES DU 30 NOVEMBRE 2013 2/3
"quel public pour le futur cinéma 6 salles ?"
Avant, Maëlig et Gaylord veulent nous
dire juste un petit mot
Maëlig Cozic-Sova :
En réponse à ce qui
s'est dit dans les interventions, je veux juste préciser à nouveau
ce que j'ai dit tout à l'heure. Toute l'opposition de gauche nous a
soutenus depuis le départ ; il n'y a eu aucune ambiguïté, aucun
retournement de veste, pendant cette campagne très longue. Je veux
juste faire justice aux engagements qui ont été pris. Ensuite, à
propos d'Est-Ensemble : je ne prends pas position pour ou contre, ce
n'est pas du tout le problème, je veux juste souligner
qu'Est-Ensemble n'a pas porté plainte. S'ils avaient porté plainte,
ç'aurait été probablement différent, mais ils n'ont pas porté
plainte, il faut quand même le dire pour être clair. Et je voulais
dire une dernière chose : j'espère qu'on pourra retravailler, dès
que l'équipe sera réintégrée, travailler dans des conditions
normales, retrouver du plaisir à revenir au boulot et à proposer
des films complètement inédits comme avant. C'était quand même
une période dorée : on bossait avec un sourire de fou, et on
inventait des manières de travailler qui vont vraiment au-delà de
ce qu'on peut espérer pour le travail. On est restés ensemble, on
est très fiers de nous.
Gaylord Le Chéquer :
Je reprends la parole
pour remercier l'association Renc'Art au Méliès et sa présidente
mais aussi pour dire que, tout à l'heure, j'ai entendu à la tribune
qu'il ne fallait pas qu'on dise n'importe quoi ; j'ai aussi entendu
que le Grand Paris n'était pas un sujet de débat parce qu'il était
déjà mort-né ; moi, je laisse à Renc'Art ce qui est à Renc'Art :
c'était votre choix d'avoir ce débat et c'est bien la démonstration
que, quand les citoyens se saisissent d'un sujet et commencent à
tirer la ficelle de la pelote, c'est qu'ils sont en capacité de
comprendre. Et c'est parce qu'ils sont en capacité de comprendre
qu'on peut faire effectivement échec à ce projet et ce qu'a dit
Georges Bertrand en est la démonstration : si on ne mène pas la
bataille à tous les niveaux, y compris à notre niveau, les
conseillers municipaux de base que nous sommes, on laisse un
boulevard ouvert à ceux qui veulent passer en catimini puisque je
vous rappelle que c'est ce qui s'est passé pendant les vacances
d'été. Donc le combat doit être mené et ce n'est pas en abdiquant
d'entrée que l'on pourra faire échec à ce projet qui nous semble
aller dans le mauvais sens. En tout cas, un grand merci à vous pour
la suite des débats.
À
la conquête d’un nouveau public pour le futur 6 salles.
Des réponses
innovantes doivent être trouvées pour que tous les publics de la
ville se retrouvent dans cette nouvelle structure. Ce
cinéma doit devenir encore plus un lieu d’éducation populaire à
l’image accessible à toutes les composantes de la population,
écoliers, adolescents et jeunes adultes, personnes âgées ou
handicapées, population d’origine étrangère, habitants de
Montreuil éloignés du centre ville.
Claire
Pessin-Garric, responsable de la Fédération des Œuvres Laïques du
93
Sophie
Soglo, représentante du C'ISM (Collectif Indépendant des
Spectateurs du Méliès)
Georges Bertrand,
vice-président de l’association Renc’Art au Méliès
Marie-Madeleine Cornières :
La perspective d'un
nouveau cinéma 6 salles pose de fait la question : " quel
public pour remplir ce cinéma ? Quel public, dans sa diversité de
population montreuilloise ? Comment faire que ce cinéma soit un lieu
d'éducation populaire à l'image pour les jeunes, pour les moins
jeunes, pour les personnes âgées, et aussi un cinéma accessible
aux personnes handicapées, à la population étrangère, aux jeunes
adultes ? Comment offrir plus qu'un film : une culture
cinématographique à Montreuil ?"
Je passe d'abord la
parole à Claire Pessin-Garric qui est responsable départementale de
la fédération des Œuvres Laïques et qui a certainement beaucoup
réfléchi à l'éducation populaire à l'image pour les enfants,
d'autant qu'elle a été institutrice à l'école d'à côté.
Claire Pessin-Garric,
:
responsable de la
Fédération des Oeuvres Laïques du 93.
Je me sens dans une
situation assez particulière parce que j'étais anciennement élue à
la Culture de cette ville et, même, aux manettes quand le Conseil du
Cinéma a été créé. Donc je vais rappeler aux Montreuillois qui
ne s'en souviennent peut-être pas que le Conseil du Cinéma était
assez unique. Ça n'existait qu'à Montreuil. J'ai eu l'occasion d'en
parler, car j'étais aussi vice-présidente au Conseil général de
Seine-Saint-Denis, également en charge de la Culture : à
Avignon, à une table ronde, quand j'ai eu à présenter l'expérience
du Conseil du Cinéma, les gens écarquillaient les yeux en disant :
"c'est possible ce genre d'exercice de démocratie locale dans
le domaine de la Culture ?" Franchement on n'a pas à rougir de
ça à Montreuil, je voulais le rappeler et je tenais à dire que je
suis assez heureuse que cette belle idée née à Montreuil grandisse
puisque j'entends aujourd'hui qu'une agglomération telle que
Est-Ensemble s'apprête à labelliser et à reprendre à son compte
cette magnifique idée.
J'aurais
voulu aussi rassurer le monsieur de tout à l'heure en disant : "Oui
! La liberté totale en matière de service public de la Culture,
c'est possible !" Ça l'a été à Montreuil, je tiens à le
réaffirmer. Stéphane Goudet,
pendant toutes les années où il était directeur quand la
municipalité était la nôtre, n'a jamais eu à défendre que ses
propres propositions. Jamais la municipalité ne s'est mêlée
de quoi que ce soit. Il a été entièrement libre de sa proposition.
Et le Conseil du Cinéma a travaillé également en toute liberté et
pouvait également être force de proposition. Donc, quand une
volonté politique est très affirmée et respectueuse de la
démocratie locale et des citoyens, c'est possible. Je tenais à le
rappeler puisque ça a été vrai à Montreuil.
Stéphane Goudet :
J'ajoute que cela été
vrai, encore, pendant quelques années, sous l'ère Voynet avec un
autre maire-adjoint en charge de la Culture ici présent : pendant
ces deux époques, il n'y a pas eu d'ingérence dans la programmation
du Méliès et, dans ces deux époque là, avec des formes un peu
diverses, le Conseil du Cinéma était un lieu de libre expression où
chacun pouvait vraiment donner son avis en toute liberté. Ce n'est
pas un hasard si Dominique Voynet l'a de fait aboli.
Claire Pessin-Garric
Maintenant je voudrais
laisser de côté cette ancienne casquette qui m'était pourtant
chère, pour en prendre une nouvelle, celle de la Ligue de
l'Enseignement — parce que la Fédération des Œuvres Laïques,
c'est la représentation départementale de la Ligue de
l'Enseignement. C'est donc au titre d'une association d'Éducation
populaire que je prends la parole maintenant.
Depuis 150 ans bientôt
la Ligue de l'Enseignement, mouvement d'éducation populaire
complémentaire de l'école, place l'éducation et la culture au cœur
de son projet de manière indissociable, considère que l'approche de
l'art et des artistes est un puissant moteur de développement de
l'imaginaire individuel et de transformation de l'école, allant, en
ce sens, bien au-delà de l'apprentissage supplémentaire ou de la
"distraction" que les pratiques artistiques peuvent
apporter.
C'est sans doute la
chimie entre les apprentissages fondamentaux et l'acceptation du
trouble et de l'incertitude que l'art d'aujourd'hui véhicule qu'il
convient de travailler. C'est en tous les cas le sens des démarches
d'éducation populaire, tout à la fois en mesure d'installer
l'individu dans son rapport au savoir et à la connaissance et dans
une indispensable faculté à interroger et à se transformer. Si
cette éducation artistique et culturelle nous paraît essentielle
c'est parce que, en tant que parents, éducateurs, enseignants, nous
avons une grande responsabilité pour aider nos enfants à se
construire, à se repérer dans une réalité de plus en plus
complexe, à savoir mieux identifier leurs désirs, leurs émotions,
leurs choix, pour qu'ils soient créatifs et constitutifs de leur
personnalité. En cela, pour qu'une éducation artistique soit
réellement efficiente, elle doit conjuguer 3 expériences
indissociables, à savoir :
- la fréquentation avec les œuvres qui doit pouvoir se développer dans la régularité et la durée, en proposant un juste équilibre entre patrimoine et art contemporain, et qui nécessite toujours une médiation, c'est-à-dire un accompagnement avant ou après ;
- la pratique en amateur, qui par la sensibilisation à un atelier permet de se confronter individuellement ou collectivement à un processus de création ;
- et enfin, la rencontre avec les "travailleurs" des Arts et de la Culture, artistes, techniciens, artisans, qui facilite la transmission et l'appropriation de connaissances, de savoirs, de techniques.
Cela vaut évidemment
pour le cinéma et l'éducation à l'image. Ces rencontres et
pratiques sont déterminantes pour nourrir l'imaginaire des jeunes,
pour qu'émergent leurs capacités créatrices, pour que se révèlent
leurs talents ignorés, pour qu'émergent de nouvelles compétences,
pour maintenir en éveil leur curiosité, leur appétit à connaître,
à rencontrer ce qui les étonne, les questionne, à accepter comme
allant de soi ce qui est nouveau, différent, étrange, étranger.
Et cela doit et peut se
faire dès le plus jeune âge.
Toute rencontre
artistique est à privilégier, dans tous les champs artistiques.
Mais quelle fenêtre plus grande ouverte sur le monde et sa
complexité que celle que nous offre le Cinéma !
Aider l'enfant à devenir
spectateur, certes, mais un spectateur avisé, en maîtrise des
codes, des langages, des contraintes, mais aussi du champ illimité
de la création, connaissant les différents métiers, ceux de la
création artistique comme ceux liés aux techniques, de réalisation,
de montage, de diffusion ; actif, dans son discernement, un
spectateur qui peut aussi, s'il le désire, devenir lui-même
scénariste, réalisateur, monteur, photographe, etc ;
un spectateur à qui on
propose autant la richesse de son patrimoine que les créations les
plus innovantes faisant appel aux techniques les plus en pointe ;
un spectateur à qui le
cinéma permet de s'inscrire dans le temps et dans l'espace, dans des
langages convenus, comme dans les recherches les plus audacieuses
sortant des sentiers battus ;
un spectateur à qui le
cinéma permet autant de s'envoler dans un imaginaire le plus fou et
le plus débridé, le plus audacieux, où tous ces rêves deviennent
possibles grâce à la magie du cinéma que de découvrir le
quotidien d'une société dans sa plus tragique réalité ;
un spectateur à qui on
propose des rencontres avec des cinéastes, des acteurs, des
professionnels, des temps de débat autour de films programmés à
leur attention, des visites sur des lieux de tournage — et ils sont
nombreux à Montreuil ;
un spectateur à qui on
propose une programmation ciblée, prévue dans le cadre d'un projet
co-construit avec les enseignants et les animateurs ;
un spectateur à qui on
propose de passer de l'autre côté de la caméra, de devenir
lui-même scénariste, réalisateur, photographe, monteur...
C'est un apprentissage
qui nécessite de la durée et l'engagement des adultes aux côtés
des enfants pour les guider dans la découverte de ce monde
cinématographique si vaste, aussi vaste que la richesse du monde que
le cinéma interroge, aussi vaste que la richesse humaine qu'il
révèle. Cela demande que l'ensemble des adultes qui rencontrent les
enfants dans leurs différents temps de vie, familial, social,
scolaire, périscolaire, que tous les acteurs éducatifs et
artistiques potentiels s'impliquent et soient capables de s'organiser
pour construire, ensemble, de véritables parcours artistiques sur le
temps scolaire mais aussi hors temps scolaire, élaborer un projet,
des propositions, qui évitent les écueils de la redondance, du
simple occupationnel. Cela ne peut se réduire à la seule
juxtaposition de séances de cinéma, à la simple addition de
sorties ou de quelques séances d'atelier : le parcours artistique
doit être construit avec cohérence, avec un même objectif défini
par tous, enseignants, animateurs, association d'éducation
populaire, parents, et, chaque fois que c'est possible, les jeunes
eux-mêmes, et puis des concertations, définitions d'objectifs
communs suivies d'une mise en œuvre d'actions complémentaires.
C'est l'avantage et l'intérêt des Projets Éducatifs de Territoire
qui sont une opportunité à saisir pour créer cette cohérence et
cette dynamique. C'est de la responsabilité de l'ensemble des
adultes, mais particulièrement des élus qui gèrent des salles de
cinéma dans leur ville, que de conduire des politiques publiques
permettant ces parcours de découverte artistique dans le champ des
arts visuels.
Mettre à disposition les
salles ? Oui, mais pas seulement pour la diffusion commerciale, même
si celle-ci revêt le caractère Art et Essai ou de recherche. Il
faut en faire de véritables lieux de production, de fabrique et de
ressources pour tenter des expériences portées par les jeunes
eux-mêmes mais aussi créer des postes de médiateur culturel,
porteur de projets indispensables aux côtés des enseignants et des
animateurs, qui font appel à de vrais professionnels du cinéma ou
qui sont, eux-mêmes, des professionnels, exploitant, réalisateur
technicien, permettant cette continuité éducative et artistique
entre école et hors école. Un même projet peut se décliner à
partir du projet d'école, sur les hors temps scolaires, les
médiateurs en assurant la cohérence et la continuité. Offrir à
l'enfant un vrai parcours de découverte cinématographique lui
permettant de s'approprier cet outil fantastique qu'est le cinéma au
service de sa propre construction, de son enrichissement personnel,
développant sa capacité d'analyse, de choix et, donc, sa propre
liberté.
Cela peut être les
enseignants, dans le cadre de leur projet d'école, qui participent
au choix de programmation et développent, par exemple, des ateliers
d'écriture de scénario, de synopsis, y travaillent en amont et en
aval. Cela peut être aussi des séances avec des professionnels du
cinéma, des associations d'éducation populaire, des animateurs
favorisant par exemple les pratiques d'amateur ; cela peut-être
les familles allant au cinéma avec leurs enfants dans un esprit
éducatif, certes, mais également de loisirs . Cela implique la
présence au sein de l'équipe du cinéma de professionnels formés à
la médiation culturelle capables de contribuer à l'émergence des
projets, à leur accompagnement et à leur mise en œuvre.
Doit-on réinventer les
ciné-clubs d'antan ? Et pourquoi pas ? Avec les méthodes et les
innovations technologiques d'aujourd'hui, on peut imaginer qu'une
salle de cinéma public puisse se mettre en lien avec une des ESPE
(École Supérieure du Professorat et de l'Éducation) qui prennent
en charge la nouvelle formation des futurs enseignants, et propose
des stages de formation aux enseignants dans le cadre de leur
formation initiale et continue. De même pour les animateurs dont la
formation est actuellement à l'ordre du jour.
Les Activités
Pédagogiques Complémentaires qui se déroulent sur le temps
scolaire comme périscolaire peuvent devenir dans un climat apaisé
des moments propices pour développer ces projets avec les enfants.
Il faut en même temps
rester attentifs à ce que le cinéma reste avant tout un art, qu'il
ne se réduise pas à un objet pédagogique. La déclinaison de ce
type de projet artistique sur tous les temps de l'enfant peut éviter
cet écueil.
Tout cela demande une
volonté politique déterminée à l'échelon territorial mais aussi
au niveau de l'État, à travers les ministères concernés,
Éducation et Culture, qui dégagent les moyens financiers
nécessaires pour assurer les trois piliers que je citais
précédemment. Je rappelle ces trois piliers :
- la découverte des œuvres à travers une programmation adaptée allant du patrimoine aux productions les plus récentes et les plus innovantes,
- les rencontres avec les artistes et les professionnels du cinéma par des résidences,
- la pratique, par des stages de production et de réalisation et des ateliers de fabrique cinématographique.
Quel projet politique
vaudrait plus que celui qui permet à nos enfants de gagner leur
liberté ? Montreuil regorge de lieux, d'associations, qui, au côté
du cinéma public, peuvent être sollicités pour contribuer à la
réussite de ces parcours artistiques cinématographiques. Les
associations d'éducation populaire conduisent depuis des années des
actions éducatives artistiques et culturelles en lien avec le
cinéma. La Ligue de l'Enseignement gère un cinéma itinérant,
notamment dans les zones rurales — je vous annonce d'ailleurs qu'il
existe un autre Méliès en France, à Grenoble, et qu'il est géré
par la Ligue de l'Enseignement. La Ligue de l'Enseignement mène
également des activités artistiques et culturelles au sein des
centres de loisirs, dans des centres de vacances, mais aussi comme
intervenant, dans les établissements scolaires du primaire et du
secondaire. A travers toutes ces actions, c'est aussi la défense du
cinéma indépendant qui est en jeu. Former à l'esprit critique,
sensibiliser à des créations à contre courant, c'est contribuer à
cette défense.
Mon intervention a
surtout porté sur le lien que le cinéma peut entretenir avec les
jeunes mais cela vaut évidemment pour tous les publics : de la même
manière qu'on tisse des liens particuliers avec les établissements
scolaires en réservant des plages horaires et des dispositifs
spécifiques, on peut tisser des liens tout aussi ciblés et
organiser des débats, des rencontres avec les publics de retraités,
les établissements qui accueillent des personnes handicapées, des
clubs de passionnés de cinéma …, en étant attentif à des
propositions qui permettent la rencontre de tous ces publics.
C'est un juste équilibre
entre les propositions ciblées et le tout public qu'il faut savoir
penser. Le nombre de salles accru, c'est un atout pour réussir cet
exercice périlleux mais essentiel : une programmation exigeante
et populaire qui aide chacune et chacun, quel que soit son âge ou
son statut social, à garder tout au long de sa vie sa curiosité en
éveil, sa capacité à s'interroger sur le monde, et sa relation aux
autres. N'est-ce pas le rôle essentiel de l'art et de la culture ?
Marie-Madeleine Cornières :
Si je me souviens bien,
le projet du futur six salles est né au Conseil du Cinéma. Je tiens
à le redire parce que ça été un grand débat, dans les années
2005 ou 2006, et je crois que cela a été un des grands projets de
ce conseil. Je rends hommage au rôle qu'y ont joué Robert
Guédiguian, Dominik Moll et Dominique Cabrera.
Claire Pessin-Garric :
Il y avait aussi la
cinéaste Dominique Aru. Je appelle que le Conseil du Cinéma n'a pas
eu seulement un rôle consultatif dans cette affaire mais qu'il a
permis d'orienter le projet lui-même : il y avait une réflexion,
tout à fait légitime quand on est politique, sur le statut du
cinéma ; il y avait aussi une réflexion sur son lieu géographique
d'implantation. Le Conseil du Cinéma, par sa réflexion, a réussi à
infléchir sérieusement les choix que la municipalité ensuite a mis
en œuvre.
Sophie
Soglo
représentante
du C'ISM (Collectif Indépendant des Spectateurs du Méliès)
Je fais partie du
Collectif Indépendant des Spectateurs du Méliès, né de manière
spontanée lors du deuxième Méliès Éphémère qui avait lieu à
la Maison de l'Arbre, à la demande de Stéphane Goudet, porte-parole
de l'équipe qui demandait à ce que des spectateurs manifestent
leur soutien. Depuis, nous luttons à notre manière et à côté de
Renc'Art et de l'équipe pour que la ré-intégration de l'équipe en
entier soit la plus rapide possible parce que ça nous semble absurde
qu'elle ne le soit pas.
D'autant que le débat
que nous avons cet après-midi, tout aussi nécessaire et vital qu'il
soit aujourd'hui, n'avait même pas lieu d'être il y a deux ans,
puisque le projet culturel était en place. Si le six salle était un
projet de la Ville, c'était tout simplement parce que le trois
salles ne suffisait plus à accueillir les spectateurs et les
propositions artistiques qui existaient déjà à Montreuil.
Par rapport à ce qui a
déjà été dit sur le Grand Paris, nous sommes attentifs au
problème montreuillois, le problème du Méliès. Et toutes ces
discussions sur "chercher un nouveau public, etc..."
c'était ce qui se faisait avant parce que l'équipe aimait son
cinéma, elle le défendait avec joie et enthousiasme, elle nous
faisait partager cet enthousiasme et cette joie. Quand les gamins
allaient voir des films improbables qu'ils n'auraient jamais vus
ailleurs qu'au Méliès, Marie, ou les gens qu'elle avait formés,
nous donnait envie et faisait partager leur enthousiasme. Du coup,
les gamins étaient contents, peut-être que 4 ou 5 ne l'étaient
pas, mais la majorité l'était, et ça, c'était l'éducation à
l'image dont Mme Pessin-Garric vient de parler. La programmation
était extrêmement diverse et le choix d'aller vers un six salles,
c'était justement pour faire perdurer cette éducation à l'image,
pour avoir plus de sorties nationales, pour faire venir un public
différent et plus varié. En tout cas, il était hors de question
d'imiter MK2, UGC ou les "gros" parce que ce n'était pas
l'enjeu au Méliès. L'enjeu n'était pas d'avoir une "grosse
baraque" et des séances « popcorn », mais plutôt
de faire perdurer ce qui existait, et en particulier le travail
d'éducation à l'image, le travail avec les associations, avec les
scolaires, avec les différents services de la Ville, avec les
structures locales. Les rencontres multiples, les débats joyeux et
animés, tout cela existait auparavant et nous trouvons absolument
incroyable de devoir avoir ce débat ici aujourd'hui parce que la
municipalité en place ne veut pas l'avoir, sur des sujets qui
étaient actés et logiques il y a un an et demi et qui depuis deux
ans sont un enjeu de lutte quotidienne. Ce débat, organisé par
Renc'Art au Méliès, mais aussi les Méliès Éphémères qui vont
revenir, notamment le 14 décembre, font partie de cette lutte
quotidienne. Nous vous invitons venir faire la fête avec nous et
surtout voir des films.
Ce que nous avons à dire
c'est que nous voulons la réintégration de l'équipe parce que
c'étaient des gens compétents. Au-delà de ça, la question d'un
public, la question du Grand Paris, cela allait avec un Méliès
fort, que nous avions auparavant. Nous trouvons plus que dommageable
de devoir encore, aujourd'hui, débattre de choses qui sont
aujourd'hui d'actualité alors qu'elles ne l'étaient pas auparavant.
Marie-Madeleine
Cornières:
Même si auparavant on
avait un cinéma qu'on adorait et qu'on souhaite retrouver au plus
vite, cela n'empêche pas de continuer à s'interroger pour faire
venir l'ensemble de la population montreuilloise au cinéma. Je crois
que nous devons ouvrir plus largement les portes de notre six salles
à cette population qui ne vient pas, pour des raisons diverses,
parce qu'elle est trop éloignée du centre-ville et qu'il n'y a pas
de navette pour ramener des personnes le soir après le cinéma,
parce qu'elle ne parle pas forcément le français... Nous avons à
creuser, à réinventer, à travailler, pour être toujours plus
ouverts et être toujours davantage le cinéma de l'ensemble de la
population montreuilloise. Ça n'enlève absolument rien à tout le
travail qui a été fait avant : ça ne peut que le renforcer et
peut-être aussi à aider l'équipe à travailler sur d'autres
pistes.
Georges Bertrand
Vice-président de
Renc'Art au Méliès
Il
ne faut jamais oublier, quand on parle « public du Méliès »,
que notre raison d'être c'est de projeter des films qu'on ne va pas
voir ailleurs, ceux qu'on ne peut pas voir à Rosny 2, ce qui
n'empêche pas la nécessité d'élargir les publics. Il faut bien
tenir le but, la raison d'être, du Méliès : c'est bien les films
Art et Essai, le cinéma indépendant, etc. Il ne faut jamais perdre
ça, même si on veut élargir — il faut élargir — mais il faut
tenir les deux, pour mieux diffuser les films Art et Essai. Il faut
plus de salles, je n'insiste pas, je crois que c'est acquis.
Le deuxième point sur
laquelle je voudrais insister, c'est l'importance des débats, et des
débats de qualité. C'est une des choses qui a fait la force du
Méliès, qui a fait que les cinéastes prenaient plaisir à venir au
Méliès : c'est important pour faire venir des intervenants
intéressants, et c'est important pour le public également, d'avoir
des débats enrichissants. Pour Renc'art, c'est vraiment une de nos
revendications : rétablir les débats, qui feront venir du public.
C'est lié.
Et enfin, troisième
point, il faut élargir le public. C'est clair qu'on en a aussi
besoin. On aura la possibilité de le faire avec plus de salles. Il
faut s'appuyer sur la force de toutes les activités culturelles qui
existent à Montreuil, il faut s'appuyer sur les autres filières.
Peut-être y a-t-il des progrès à faire par rapport à ce qui se
faisait auparavant : le livre, la musique, les arts plastiques,
etc... Il faut qu'on développe les synergies — il y en a déjà,
on ne part pas de rien — mais il y a des possibilités de les
renforcer, des possibilités de renforcer les liens avec les
professionnels du cinéma ou des activités proches du cinéma parce
que les limites bougent : les arts plastiques, les vidéastes...,
il faut qu'on en tienne compte, que le Méliès s'inscrive dans ce
mouvement pour que Montreuil reste à l'avant-garde de la culture et
même renforce sa position d'avant-garde.
Reste la question qui est
souvent posée, telle qu'on vient de l'aborder : les jeunes. Le
problème est réel : à partir d'un certain âge, le public jeune
préfère Rosny 2. Il y a besoin de travailler là-dessus bien sûr —
ça a été esquissé : il y a l'éducation à l'image...— , que le
Méliès devienne leur cinéma quand ils sont écoliers de telle
sorte que collégiens et lycéens continuent à aller au Méliès. Je
pense qu'on peut progresser.
Autre chose : les
cités populaires du Haut Montreuil ont du mal à venir au Méliès.
Il y a une question de transports, qui ne dépend pas uniquement de
la municipalité, mais il faut sans doute réfléchir à ces
questions de transports, aux horaires, aux programmations. Cela
pourrait être le rôle de ce Conseil du Cinéma renouvelé et élargi
que nous souhaitons : trouver les moyens de faire venir ces
publics davantage. Cet après-midi, d'ailleurs, nous n'avons pas
réussi — on a essayé — à avoir des représentants du Haut
Montreuil autour de cette table ; les personnes qu'on a approchées
nous ont dit "Oui, oui, c'est une bonne idée, c'est nécessaire"
mais elles ne sont pas là aujourd'hui. Donc il faut qu'on travaille
sur ce sujet.
Régine Ciprut
Je voudrais intervenir
sur l'accès et l'ouverture aux autres publics, parce que partir de
la notion d'Éducation populaire, c'est aussi partir de l'idée que
des personnes ont des savoirs et des connaissances, même si elles ne
le savent pas et même si elle ne les mettent pas en œuvre. Claire
Pessin-Garric a beaucoup insisté sur la démarche. Je crois aussi
que dans l'accessibilité, il y a aussi la question du tarif et
c'est le rôle premier de la municipalité de mettre en place des
tarifs et de mettre à disposition des salles. Je suis d'accord avec
les intervenants sur la nécessité de travailler avec les autres
structures culturelle de la Ville, mais il faut faire attention à
garder la grande qualité : la recherche, l'Art et Essai, le cinéma
public indépendant le Méliès, mais avec le six salles, on peut
aussi avoir l'ambition d'aller à la conquête d'autres publics. Et
là, on se heurte à la question non seulement des moyens financiers
mais aussi des moyens culturels de personnes qui ne sortent jamais ou
qui ont d'autres cultures. En ce moment, je suis des cours de cinéma
africain. Les Africains ne vont sans doute pas au cinéma ; ce n'est
pas non plus dans leur pratique, chez eux, d'aller à des concerts,
parce que la musique est intégrée dans d'autres formes de vie, mais
si on leur en donne la possibilité, on peut faire des choses.
D'ailleurs, souvenons-nous : nous avons fait une très bonne soirée
avec Correspondance, avec l'association des Femmes maliennes ;
le Méliès n'avait jamais été aussi bondé. Il faut donc
travailler l'accessibilité avec les professionnels du cinéma mais
aussi avec le milieu de la culture et avec le milieu associatif de
manière générale.
Daniel Chaize
Je suis ex-maire-adjoint
chargé de la Culture avec, entre autres dossiers, le transfert du
Méliès, et le fameux combat avec MK2 et UGC
Et tout d'abord merci
Renc'Art au Méliès d'avoir organisé cette réunion parce qu'on
parle d'une histoire de Montreuil, ville de cinéma, et on parle de
l'histoire du cinéma français , dans laquelle Montreuil a un rôle
important à jouer. À l'époque, dans ce Conseil du Cinéma que je
respectais, j'étais confronté à des débats sur la solidité de la
conviction de la municipalité de la maire "sortie", à
propos de "oui ou non le transfert ?". Certains d'entre
nous étions pour ce transfert de la Croix de Chavaux, avec trois
salles, au centre-ville, avec six salles, que nous appartenions ou
non à la majorité. Pourquoi? Parce qu'effectivement, c'est très
important, pour l'histoire d'un cinéma vivant, pour son avenir,
d'avoir un nombre d'écrans suffisant pour diffuser ce qu'on appelle
le cinéma « du milieu », ce qu'on appelle les films
d'auteur. On voit bien que si on casse cela, on casse le cinéma et
dans ce cas-là, il ne s'agit plus du tout du Méliès comme on en
parle ici. Donc, c'est un cinéma pour le cinéma, pour les
réalisateurs, c'est un cinéma pour le public, de cinéphiles et de
non cinéphiles. Et c'est vrai, c'est dur ; il y a des problèmes de
transports, il y a des problèmes techniques, des problèmes
d'éducation et il y a des problèmes d'attractivité. Je pense
aujourd'hui aux jeunes, et aux moins jeunes, qui habitent aux
Morillons, cité que je connais bien pour y avoir vécu : ils
sont tournés vers Rosny, où il y a des cinémas qui, mieux que le
Méliès trois salles de la Croix de Chavaux, invitent à sortir,
aller draguer un peu en faisant une sortie dans un lieu plus
attractif ; ce sont des éléments secondaires, probablement, par
rapport au cinéma, mais des éléments à prendre en compte si l'on
veut faire découvrir d'autres films à ces publics.
Sur la question du
public, j'ai assez peu eu le temps, malheureusement, d'avancer avec
l'équipe du Méliès mais dans les débats engagés avec Stéphane
Goudet, je disais qu'il fallait profiter du temps, qui nous semblait
court : 12-14 mois pour le chantier. Il faut aller vendre, dans le
sens marketing, il faut aller auprès de tous les publics, seniors ou
jeunes, pour montrer combien c'est attractif. Même dans le « trois
salles », il y a un travail à faire vers les cités :
c'est le rôle des élus, c'est le rôle du Conseil du Cinéma —
merci d'avoir dit, Stéphane, que j'ai toujours laissé sa liberté à
cette instance, ainsi qu'aux éditoriaux bien que la maire m'ait
demandé parfois d'en écrire, ce que je n'ai jamais fait.
Aujourd'hui, on est sur des décombres, le cinéma est cassé ;
cassé artistiquement, avec la fréquentation telle que vous la
connaissez, mais également fauteuils cassés, ce qui pose un
problème pour les nouveaux arrivants à la Ville — il va falloir
quand même faire la jonction entre les deux implantations dans des
conditions qui ne soient pas celles d'un "trou à rats".
Il a été beaucoup
question dans la première table ronde, et c'était fort intéressant,
de démocratie, d'indépendance, de municipalisation ou pas et
jusqu'où ? Quand une collectivité territoriale investit dans un
cinéma municipal pour le rééquilibrage, les questions que vous
avez soulevées tout à l'heure, madame la présidente, en vous
faisant l'avocat du diable, sont légitimes : est-ce que c'est
possible économiquement ? est-ce que ça le sera demain ? est-ce que
ça le sera pour le six salles ? J'ai toujours pensé que c'était
possible parce que je suis persuadé qu'on peut gagner en nombre de
spectateurs et qu'une ville comme Montreuil se doit, avec l'histoire
qui est la sienne, d'avoir un cinéma qui ait un rayonnement
territorial.
Je n'entre pas dans le
débat sur le Grand Paris ni sur Est-Ensemble, mais on peut penser
que s'intégrer dans une surface institutionnelle plus grande peut
permettre de mutualiser les moyens, voire peut accroître le
rayonnement de la qualité montreuilloise à travers le Méliès. Une
grande ville de 100 000 habitants a aussi ce rôle-là. Mais, compte
tenu de la manière dont se présente le débat sur le Grand Paris,
compte tenu de notre expérience de l'intercommunalité, on ne peut
pas dire que tout cela soit géré au mieux ! Je pense donc qu'il
faut remettre toute les cartes à plat et que la municipalisation est
certainement une voie sur laquelle il y aura à réfléchir très
sérieusement.
Martine Boisset
Je voulais juste
intervenir sur les nouveaux publics. On a mis en place, avec l'équipe
« historique », une employée hyper-compétente qui
travaille à la recherche des nouveaux publics. Elle a essayé de
faire son travail et, en ce moment, elle le fait pratiquement toute
seule, sans la direction, sans personne, en y mettant tout son cœur.
Elle va voir le SMJ (Service Municipal de la Jeunesse), elle voit
toutes les associations, les handicapés, les seniors ; elle
travaille avec le CCAS (Centre Communal d'Action Sociale). Mais, en
ce moment, le travail est hyper-difficile pour elle. Elle est seule à
travailler, on ne lui parle pas. Elle fait son travail toute seule et
on lui dit : "Oh, ben c'est ton public ! Nous on ne s'en occupe
pas." Voilà où on en est aujourd'hui. C'est vous dire que,
sans la réintégration de l'équipe historique, on ne pourra pas
remplir six salles : c'est impossible, vu la situation actuelle
complètement détériorée. J'espère qu'on va pouvoir attendre
quatre mois…
Abraham Cohen
Je fais un film depuis
février sur l'histoire du Méliès mais ce n'est pas à ce titre-là
que j'interviens. Avant, j'ai travaillé avec Périphérie pendant de
nombreuses années, et avec l'équipe du Méliès, le temps d'un
mois, pendant les Rencontres du Cinéma documentaire. Ce que je
voudrais dire, d'autres le diront mieux que moi peut-être : ce
que je trouve intéressant, pour revenir à la question de la
programmation et du public, c'est la question d'un lieu unique. De
manière générale, la logique du cinéma, c'est que le gâteau se
partage entre ceux qui ont les films « porteurs » la
première semaine et puis le reste, le cinéma d'auteur ou le cinéma
"minoritaire". Du coup, ça fait un partage du public. Or,
ce qui m'a toujours intéressé dans le projet du nouveau Méliès
(ça se passait déjà dans le Méliès actuel, mais ça serait
amplifié dans le nouveau Méliès), c'est qu'il y ait un lieu unique
où tous les publics se rejoignent. Ça paraît une lapalissade de
dire ça, mais je pense que c'est au cœur du projet de base. La
réalité de la question du public, elle vient sûrement de la
recherche de public que l'on peut faire, mais surtout aussi de la
logique de programmation : quels moyens met-on pour, à la fois,
avoir, par exemple, « Gravity » en première semaine et
les Rencontres du Cinéma documentaire ? C'est ça qui est important,
quand on va au Méliès : toute la population qui va venir voir
un "gros" film va voir qu'il se passe autre chose dans les
salles parallèles et elle aura peut-être envie de croiser des gens
et de découvrir d'autres choses. Cela se fait sur le long terme, en
parallèle avec la recherche du nouveau public. Je voulais recentrer
le débat sur la question du lieu unique et la logique de
programmation : c'est forcément la pierre angulaire du projet.
Robert Deu
Je voudrais insister sur
la vocation sociale de ce cinéma. Je veux bien que, lorsqu'il est
loin, ça ne soit pas commode d'y venir, mais il y a des raisons
beaucoup plus générales que ça. Regardez la municipalité de Paris
: depuis cinq ans, elle a assuré la gratuité des musées et, au
bout de cinq ans, la fréquentation n'a pas bougé ! Ça laisse
entendre qu'il y a des raisons qui s'apparentent à un plafond de
verre, comme une auto-culpabilisation ("c'est pas pour moi",
"il faut de l'argent"...) Il y a eu une enquête sur la
fréquentation du Méliès : on a bien vu qu'elle était le fait
d'une certaine couche sociale. En France, les pratiques artistiques
sont minoritaires, y compris le Cinéma. C'est pour cela qu'on parle
de "service public" ; mais on dit aussi "pour
l'ensemble de la population" ; non, le service public, c'est
certes toute la population mais avec une caractéristique de plus :
c'est un service public à vocation populaire. Dans la population
montreuilloise, avec son patrimoine culturel, historique et
politique, il y a une volonté que ce soit populaire. Pourquoi ?
parce que les gens en ont besoin, ils ont besoin qu'on cultive leur
sensibilité, leur sens artistique, que leur imaginaire fasse une
lecture — une co-lecture —du film, parce que le film est muet,
c'est le spectateur qui le lit et le recrée, le fait vivre, et, s'il
y a plusieurs avis, c'est encore mieux, d'où les débats. Je dis
donc « service public populaire », du point de vue
culturel en général, pas seulement pour le Méliès !
Attention de ne pas faire la Culture pour l'élite, le socio-culturel
pour les classes moyennes et le social pour les pauvres ! Comme dit
la Bible : "l'homme ne vit pas seulement de pain". Je vous
rappelle ce que disait madame de Gaulle-Anthonioz — celle qui
s'occupait d'ATD - quart monde — "Il faut la culture, parce
que la culture c'est l'autonomie", c'est aussi la critique donc
ça aide les gens, même si ça ne résout pas les problèmes de
chômage.
Claire Pessin-Garric
Je voudrais réagir
rapidement à ce qu'a dit Robert. Ça rejoint complètement ce que je
crois profondément : la fréquentation de ces lieux culturels, dont
le cinéma, mais pas uniquement le cinéma, doit être naturelle et
tout au long de la vie. Ça commence dès le plus jeune âge, dès
l'école. Il faut que l'école s'implique dans des parcours
artistiques de découverte cinématographique ; il faut que les
activités éducatives autour de l'école le fassent aussi, pour que,
dans l'univers du jeune, ça s'inscrive naturellement, que ça
devienne ensuite quelque chose d'indispensable dans sa vie d'adulte
et que la fréquentation de ces lieux-là devienne continue. Je pense
que le rôle éducatif est hyper important au moins dès les
maternelles, peut-être dès la crèche.
Stéphane Goudet
Je voudrais ajouter deux
ou trois choses sur cette question-là de l'ouverture au public.
D'abord l'enjeu des 6 salles, c'est vraiment de pouvoir représenter
dans un même lieu l'ensemble du spectre du Cinéma et même des arts
voisins, donc, effectivement, d'exposer davantage le cinéma
populaire de qualité et faisant l'objet d'une sélection mais aussi
le cinéma des marges, le cinéma expérimental et de se dire que
tout ça, ça fait une maison commune, qui s'appelle le cinéma, dans
laquelle se retrouvent les habitants d'une ville et des environs.
C'est cette rencontre-là, le projet réel. Et, dans une sorte
d'honnêteté par rapport à nos goûts à tous — les
programmateurs, l'équipe de programmation — on s'était dit "le
cinéma populaire qu'on aime vraiment, on va pouvoir le montrer",
clairement, en l'assumant, en l'accompagnant parce que les débats ça
peut se faire sur des films grand public. On peut tout à coup
mobiliser l'intelligence de nos spectateurs pour faire en sorte de
travailler sur Gravity. Il se trouve que Gravity, par
exemple — pour citer cet exemple-là qui est un des films
intéressants qu'a produits Hollywood récemment — sera montré en
vingt-deuxième semaine au Méliès de Montreuil
(approximativement) ; c'est dément, alors qu'on est équipé en
numérique et en 3D, de prendre ce film fin décembre alors qu'il
suffisait de le voir en amont pour réaliser que c'était un film
réellement intéressant, expérimental dans le travail sur la
technologie numérique et 3D et qui par ailleurs racontait des choses
à partir lesquelles on pouvait dialoguer avec des spectateurs. Ça,
c'est une faute de programmation qui a des enjeux esthétiques (ça
raconte quelque chose sur la vision et la construction des images au
cinéma), et c'est une faute économique et politique quand on perd
des dizaines et des dizaines d'entrées (je ne dis pas des milliers,
mais je pense que ce sont des milliers d'entrées à l'arrivée) et
quand ça résonne avec l'absence d'un film qui n'a rien à voir en
apparence mais qui fait aussi partie des films les plus importants du
moment, Les rencontres d'après minuit d'un cinéaste
montreuillois qui est dans tous les classements des films les plus
importants de l'année. Ce film n'est pas au Méliès et n'a pas
vocation, apparemment, à y être, peut-être parce que tous les
cinéastes montreuillois sont soupçonnés de nous soutenir — il se
trouve que ce n'est pas faux, mais quand même. Mais qu'ils prennent
des risques ! Ça n'est plus un espace démocratique
aujourd'hui, le Méliès, c'est devenu l'espace d'une paranoïa
politique et esthétique et ça, c'est gravissime.
Michel Podgoursky
Je pense que, à propos
du public jeune, il faut faire une différence entre "aller au
cinéma" et "aller voir un film" : ce n'est pas
pareil. Pour aller voir un film, il faut avoir pris l'habitude d'être
allé au cinéma. J'ai trois enfants et je ne suis pas arrivé à
leur communiquer ce plaisir d'aller au cinéma, d'aller voir un film,
parce que je n'ai jamais trouvé la programmation quand ils étaient
jeunes. Maintenant, ils ont Internet, ils font autre chose, mais ils
ne vont pas au cinéma..
Je pense que, si on veut
trouver un nouveau public, c'est important que ce futur cinéma-là
développe une politique. Ce n'est pas l'école. L'école joue son
rôle d'école. Mais le cinéma lui-même doit développer quelque
chose et les familles doivent pouvoir trouver au cinéma quelque
chose qui permette d'y emmener les enfants. Je sais qu'il existe déjà
le "programme dans la lune" mais ce n'est ce n'est pas le
"programme dans la lune" qui va donner envie, à mon avis.
J'avais écrit un projet
avec l'idée de réfléchir à un "truc éducatif" entre 6
et 12 ans — après 12 ans ce n'est plus la peine d'essayer
d'imposer quoi que ce soit à un enfant — Entre 6 et 12 ans,
sur une durée de 5 ans, s'il y avait un film par semaine à voir, ça
fait à peu près 200 à 250 films. Ne peut-on pas trouver 200 films
du patrimoine, un film par semaine, où on présenterait quelque
chose du Cinéma ? Parce que les débats qu'on a eus au Méliès
s'adressaient à des cinéphiles : quand on parle "plan
séquence", les gens savent ce qu'est un plan séquence ; on dit
"Hitchcock", ils savent qui est Hitchcock, ils savent qui
est Fellini ; le cinéma russe ? les gens qui sont là, les
cinéphiles, savent ce que c'est que le cinéma russe... Les jeunes,
ça leur passe au-dessus de la tête et ils s'en vont. Mes enfants ne
restent pas au débat ; on a du mal à les traîner voir les films
mais le débat...! "non non, moi je rentre !". Ce n'est pas
normal !.
Il faut développer
quelque chose d'éducatif; par exemple, on choisit un film qui peut
présenter ce qu'est Hitchcock et on peut prévoir des fiches
pédagogiques. J'en avais parlé avec Caroline Carré, qui m'avait
dit « oui, ça pourrait être un travail à faire avec Renc'Art
au Méliès, pour présenter les films, pour rédiger les fiches. »
Avec six salles, il y en
a bien une qui pourrait être disponible un soir par semaine, un
mardi à six heures par exemple.
Jean-Louis Le Gall
On tricote un peu tous
les thèmes, cet après-midi, forcément. Ça ne vous étonnera pas
que je revienne sur quelque chose qui, à mon avis, n'a pas été
suffisamment souligné lorsque quelqu'un est intervenu, au fond de la
salle, pour parler de "municipalisation et indépendance".
Je voudrais dire que le Méliès, Renc'Art au Méliès, n'a jamais
été aussi libre que dans la mandature précédente. L'association
Renc'Art au Méliès, qui est maintenant — vous le savez — hors
séjour (on n'a plus le droit de faire des débats, on n'a plus le
droit d'avoir des initiatives), auparavant menait des opérations
avec des structures, mais aussi avec le milieu associatif de
Montreuil ; on a fait, dans le temps, beaucoup d'opérations croisées
avec des associations. Ce n'est pas aujourd'hui qu'on peut le faire,
c'est fini, on n'a pas le droit, on est virés.
Je voudrais vous dire
aussi que comme on n'a pas d'offre cinématographique à proposer à
nos adhérents, nous avons trouvé un autre style d'animation : ce
sont le contenu, les débats, comme en juin, comme aujourd'hui. C'est
un aspect qu'il faut maintenir parce que c'est à travers cela qu'on
va pouvoir reconquérir la population, reconquérir les
Montreuillois, en essayant de développer un mouvement de
mobilisation comme on l'avait fait contre UGC et MK2 —
souvenez-vous : 20 000 signatures ! D'ici l'ouverture du 6
salles, il faut qu'on ne cesse de solliciter les gens, de leur
communiquer les informations, car ce qu'on fait là, c'est qu'on est
en train de construire, en fait, le 6 salles !
Et à propos du 6 salles,
on disait effectivement que le Conseil du Cinéma a été créé
pour garantir l'indépendance. Et ça a fonctionné merveilleusement
bien.
Nos « amis »
de la municipalité "précédente" — non, toujours
actuelle hélas ! — proposaient deux entités cinématographiques
: l'une en conservant le trois salles et l'autre dans le haut
Montreuil ; c'était un projet délirant sur le plan économique,
délirant sur le plan du fonctionnement. Et l'argument qu'on avait
développé avec Stéphane Goudet 'était de dire "non, le 6
salles, c'est un endroit de mixité sociale ! Tout le monde se
retrouvera là". Alors que si on faisait deux entités, il y
aurait naturellement une coupure sociologique formidable. Et donc il
faut maintenir l'idée du 6 salles que monsieur Cuffini aime tant
qu'il a supprimé l'escalator puisqu'il se soucie effectivement du
public : "ils monteront les marches, ils les descendront !"
Le projet économique du 6 salles a été une véritable catastrophe,
une stratégie dramatique.
Je voudrais terminer en
disant que la situation actuelle est liée au refus obstiné de
madame Voynet de s'occuper du cinéma. Pendant deux ans, elle n'a
rien dit dans tous ses programmes sur le 6 salles. Et lorsque j'ai eu
le plaisir de la voir en entretien particulier, mandaté par Renc'Art
au Méliès, elle me disait — pour revenir à ce qu'on disait à
propos des débats — elle me disait : "moi, les débats, je
n'en ai rien à faire ! Ça m'emmerde, les débats ! Je ne veux pas
entendre pendant deux heures ce que j'ai compris, moi, en 10
minutes." C'est clair !. Donc, voilà où nous en sommes :
nous avons la nécessité, jusqu'à l'inauguration du 6 salles, de
nous battre sur Montreuil et de refaire une mobilisation aussi
importante, mais d'un genre différent, que celle que nous avons pu
faire contre UGC et MK2.
Une personne dans
l'assistance
Je voudrais faire un
aparté sur le cinéma africain. Il a été montré bien des fois,
avec l'équipe historique, que ce soit Bénédicte, Marie ou
Stéphane, qui n'hésitaient pas à montrer du cinéma africain. Mais
l'Afrique, c'est un continent, il faut parfois le rappeler, c'est
très grand. Pour parler des petits distributeurs, on a un
distributeur qui est génial, qui s'appelle Pod-film, qui distribue
énormément de cinéma africain et notamment de films d'animation :
un cinéma de très bonne qualité qui, sans lui, ne serait pas
diffusé en France. Ce travail était largement entamé par
l'ancienne équipe.
Ensuite, pour faire la
transition avec la troisième table ronde, n'oublions pas qu' il y
avait dans le projet du 6 salles, débat autour d'un espace
pédagogique qui avait une double fonction : d'une part d'accueillir
les enfants, avoir des animations spécifiques pour les enfants, des
ateliers etc... ce qui se fait aujourd'hui dans les salles, mais
c'est effectivement mal pratique, et d'autre part, la deuxième
vocation de cette salle, c'était d'accueillir des ateliers de
montage pour pouvoir, justement, travailler avec des lycéens.
Une dernière chose, sur
la présence du jeu vidéo — Razzy Hammadi a parlé d'Ubisoft, sans
le nommer — nous, on y pense et on y travaille depuis au moins
deux ans. C'est en route ; nous sommes contents de le voir réaffirmé
par les spectateurs ; ça fait un moment, en fait, que nous y
travaillons.
Stéphane Goudet ne
révèle pas de secret en disant que l'enjeu de la salle pédagogique
permettant de travailler de ses propres mains à la fabrication du
cinéma était vraiment de créer le pendant qu'évoquait Claire
Pessin-Garric tout à l'heure entre l'acte de voir pour les
spectateurs et l'acte de fabrication. Cet enjeu a été balayé par
l'élu à la Culture,qui a dit en plein Conseil municipal que c'était
un caprice du directeur.
Je voudrais juste dire,
au nom du C'ism et à propos du coût de fonctionnement du cinéma,
qu'un cinéma municipal c'est une volonté politique et que la
Culture ça coûte de l'argent et que ça en rapporte. Non seulement
ça en rapporte, mais, plus on investira, plus ça en rapportera, pas
uniquement quantitativement, mais aussi qualitativement et ,
vraiment, réduire le coût de fonctionnement à l'impossibilité de
faire le 6 salles, c'est des pratiques politiques d'un autre âge ou
d'une autre pensée.
Une personne dans
l'assistance
Je voulais attirer
l'attention sur le fait que le théâtre qui se trouve juste en face
du futur cinéma accueille, pour une large partie de son public, des
collégiens accompagnés de leurs professeurs très souvent. Par
exemple énormément de classes ont défilé pour Hamlet. Je
suis absolument persuadé que, avec une bonne préparation, le futur
6 salles pourrait être ouvert, de la même façon que le théâtre,
à des classes de collège accompagnées de leurs professeurs qui les
auront préparées au film suivi d'un débat, d'une explication,
comme il y en a eu.
D'autre part, je pense
qu'on pourrait aussi refondre les Écrans philosophique qui ont
disparu dans le naufrage, pour les ouvrir à des classes de
philosophie. Car apprendre à lire un film c'est tout aussi important
que d'apprendre à faire de l'explication de texte ou de commenter un
texte de philosophie. Il y a eu beaucoup de débats, ceux animés par
Stéphane Goudet, mais également d'autres et notamment des Écrans
philosophiques, dont j'ai énormément regretté qu'ils n'aient pas
été spécifiquement dirigés vers des lycéens : c'est un lieu
pédagogique très important.