Le Monde 21 Janvier

Le Monde Lundi 21 Janvier 2013


Un mauvais film se joue au Méliès

"Tarantino est là !...", plaisante une manifestante, emmitouflée sous les banderoles de la CGT. "Abel Ferrara aussi... Il est venu chercher sa came !", répond, hilare, Stéphane Goudet, le directeur du cinéma Le Méliès, à Montreuil. Samedi 19 janvier, à 14 heures, dans une joyeuse ambiance, quelques centaines de personnes se sont rassemblées devant le cinéma art & essai, niché dans le centre commercial, à la sortie du métro Croix-de-Chavaux. Objectif déminage : il s'agit de désamorcer les dernières accusations de la Ville de Montreuil contre le cinéma municipal, réputé pour sa programmation exigeante. Il y a là des spectateurs, des syndicalistes, quelques élus, et une belle brochette de cinéastes : Laurent Cantet, Palme d'Or à Cannes, en 2008, avec son film Entre les murs, Solveig Anspak, Dominique Cabrera, Dominik Moll...

Au début du mois de décembre, Stéphane Goudet et deux agents – la régisseuse et la régisseuse adjointe du Méliès – ont été suspendus de leurs fonctions, à la suite d'une plainte déposée par la  mairie pour "détournement de fonds". Motif : au Méliès, parallèlement à la billetterie officielle, il existe une deuxième caisse dédiée aux séances non commerciales (films amateurs sans visa, séances scolaires...), et qui ne fait pas l'objet d'une comptabilité. Cette caisse a été découverte, fin 2012, par la directrice administrative du cinéma, récemment nommée par Dominique Voynet, à  la suite d'un ancien conflit avec Stéphane Goudet. Les relations entre ces deux fortes têtes sont en effet exécrables. C'est le quatrième bras de fer en un an : le dernier en date remonte au printemps 2012, lorsque Stéphane Goudet avait été accusé de maltraitance contre un agent. Finalement, il avait été confirmé dans ses fonctions.

"Les méthodes violentes de la municipalité"


Jointe au téléphone, pendant la manifestation, la maire de Montreuil n'y va pas avec le dos de la cuillère : "J'en ai assez de passer pour la mère Thénardier. La directrice administrative a interrogé les agents. Dans un premier temps, ceux-ci ont répondu que les sommes servaient aussi à payer des faux frais à Cannes, à rémunérer des réalisateurs ou à acheter de la drogue ! J'ai sous les yeux le rapport provisoire de la direction générale des finances publiques de la Seine-Saint-Denis. Il sera définitif dans quinze jours. Il est écrit que, à ce stade de la procédure, les constats de la ville sont confirmés et amplifiés", déclare Dominique Voynet. Elle ajoute : "Au Méliès, on a aussi trouvé des sacs de billet dans un placard, pour un total de 1 800 euros...".

Dans le cortège qui prend la direction de l'Hôtel de Ville, Stéphane Goudet dénonce "un piège grossier" : "L'argent de cette caisse permettait, par exemple, de financer des séances à destination d'associations. Comme lorsqu'on a accueilli des femmes en difficulté... Il y a un vice de forme, certes : nous n'avons pas enregistré cette caisse au Trésor Public. Mais la municipalité  connaissait cette caisse, et fait semblant de la découvrir. Certains élus sont même intervenus pour obtenir le versement de ces recettes à des associations", précise le patron du Méliès. Il enchaîne aussitôt : "Quant à l'argent trouvé dans le placard, l'explication est simple. La régisseuse était en train de faire le décompte de séances scolaires lorsqu'elle a été convoquée par la mairie pour une audition. Elle a dû s' interrompre et a tout rangé dans un placard. Il y avait aussi des chèques à l'ordre du Trésor Public, totalement indétournables". Le parton du Méliès ne s'arrête plus : "Enfin, l'histoire de la drogue, ça vient d'une blague d'un agent. L'un d'eux répondait aux questions de la directrice administrative. Au bout de la quatrième explication, il lui a dit : mais enfin, qu'est-ce que vous croyez ? Que l'on achetait de la drogue avec cet argent ? Cette boutade est devenue une accusation dans le rapport !".

"Moi, on ne m'a pas donné de coke, ni d'argent...", grince Dominik Moll. Le réalisateur montreuillois, qui suit de près le dossier du Méliès, estime que la nouvelle attaque de la mairie est de trop : "Je ne crois plus en la volonté de dialogue de Voynet. Depuis le début, ce projet de nouveau Méliès l'emmerde parce qu'il est issu de l'ancienne municipalité, et parce qu'elle voit dans Goudet un suppôt de l'ancienne majorité", souligne le réalisateur de Harry, un ami qui vous veut du bien (2000).

Au-delà de la mêlée, une habituée du Méliès, qui a une longue carrière de monteuse derrière elle – elle a travaillé en particulier sur des films africains, parmi lesquels Un homme qui crie (2010), du tchadien Mahamat-Saleh Haroun, en compétition officielle à Cannes, en 2010, est venue pour soutenir le Méliès : "La programmation de Goudet est parfaite. Les Master Class sont magnifiques, j'emmène aussi mes petits-enfants voir des films. C'est une des raisons pour lesquelles je vis à Montreuil", dit-elle, avant de se disperser parmi les manifestants.

Le mégaphone  en main, le député de la 7e circonscription de Montreuil, le socialiste Razzi Hammadi, s' indigne contre la "justice municipale" et exige "la réintégration des trois agents suspendus". Lors du conseil municipal du 20 décembre 2012, à Montreuil – la vidéo est disponible sur Internet -, plusieurs élus de gauche ont dénoncé une manière d'agir "surprenante et brutale", invitant la maire à respecter "la présomption d'innocence". "S'il s'agissait d'une cabale politique, le Procureur n'aurait pas ouvert d'enquête", a répliqué Dominique Voynet.

En attendant d'en savoir plus, le Méliès est en grève. L'équipe du cinéma déplore "les méthodes violentes" de la municipalité et dénombre quelques "dix arrêts maladie" en un an.

Clarisse Fabre

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